01/07/2025

Taiwan Today

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Cap sur les îles!

01/12/2008
Ce sont les habitants de Penghu qui ont construit ce piège à poissons en forme de cœur.

>> De Penghu à Lanyu, les petites îles qui encerclent Taiwan cherchent à séduire les touristes

Les 121 petites îles et îlots qui entourent Taiwan ont beaucoup à offrir aux voyageurs. « Leur charme provient de leur atmosphère et de leur culture », dit Tsai Huei-min [蔡慧敏], la directrice de l’Institut d’éducation à l’environnement de l’Université normale nationale de Taiwan (NTNU). Pour cette spécialiste de la géographie insulaire et grande amatrice de voyages dans les îles, l’isolement a permis à ces petits territoires de conserver leur beauté naturelle et un paysage distinct de celui des côtes surpeuplées de l’île de Taiwan. Autant d’atouts pour devenir des destinations touristiques de premier plan.

Cependant, les statistiques récentes montrent que le tourisme des îles est loin d’être florissant. Certes, la fréquentation de Penghu (appelé autrefois Pescadores), Kinmen, Matsu, Lanyu (l’île des Orchidées) et Ludao (l’île Verte) a globalement progressé ces 10 dernières années. Mais le nombre de visiteurs y reste très inférieur à celui affiché par les principaux sites touristiques taiwanais. Ensemble, ces cinq groupes d’îles ont attiré 1,5 million de visiteurs l’année dernière, soit un cinquième du record insulaire détenu par le Mémorial Chiang Kai-shek, à Taipei.

Avec de telles marges de progression, il n’est pas surprenant que les collectivités locales misent sur le développement touristique pour stimuler l’économie et compenser pour partie l’impact négatif de l’exode de leur population. Comme Tsai Huei-min l’a observé dans de nombreuses îles autour du monde, le tourisme peut être une aubaine pour les communautés locales. « Promouvoir le tourisme est d’ordinaire la voie la plus facile à suivre pour accélérer le développement », analyse-t-elle.

Penghu, une destination populaire

L’archipel de Penghu est à la fois le plus populaire et le mieux développé. Au milieu du détroit de Taiwan, ses 64 îlots couvrent approximativement 127 km2. En 2007, il a reçu plus de 480 000 visiteurs, à comparer aux 474 000 touristes qui ont choisi Kinmen, aux 323 000 accueillis à Ludao, aux 76 000 ayant visité Matsu et aux 57 000 s’étant aventurés à Lanyu.

En plus de magnifiques panoramas, de plages de sable fin et d’une vie sous-marine riche, Penghu peut s’enorgueillir d’une offre étendue d’activités aquatiques, allant de la plongée au jet-ski, en passant par la plaisance et la pêche.

Le tourisme y a crû rapidement ces 10 dernières années. La pêche en haute mer ou sur le littoral, à l’aide de pièges à poissons, sont des activités que les agences de voyage ne manquent pas d’inclure dans leurs offres. Ce sont souvent celles auxquelles les touristes prennent d’ailleurs le plus de plaisir, explique Li Huei-long [李慧龍], un guide local. Construire des pièges à poisson est une tradition ici. On dispose un filet au fond de l’eau, à quelques mètres du rivage, et on empile des pierres à ses extrémités de manière à le maintenir en place et à former une nasse d’où les poissons qui s’y aventurent ne peuvent s’échapper. Quand suffisamment de poissons sont pris au piège, on enlève les pierres et on remonte la nasse sur la rive. Après la pêche, les touristes sont invités à reconstruire le piège pour les prochains visiteurs. Selon Li Huei-long, les vacanciers peuvent ainsi revivre l’expérience des premiers colons de l’île tout en ayant le plaisir de manger le produit de leur pêche.

L’archipel possède également des paysages uniques, caractérisés par la présence de formations rocheuses basaltiques. Les colonnes de basalte, qui font jusqu’à 30 m de haut à certains endroits, prennent la forme de piliers qu’on dirait construits par l’homme mais qui sont en fait le résultat d’une ancienne activité volcanique. La Réserve naturelle du basalte de Penghu, établie en 1992 sur trois petites îles au nord-est de l’archipel, est considérée comme l’une des dix merveilles naturelles de Taiwan.

La préservation de l’environnement de Penghu concerne aussi les maisons traditionnelles en laogu (calcaire corallien). Beaucoup d’entre elles, construites dans le style traditionnel du Fujian, sont plus que centenaires.

En 2007, le ministère de la Planification et du Développement économiques a lancé un programme d’aide à la restauration de ces maisons en laogu. Leurs propriétaires peuvent obtenir jusqu’à 3 millions de dollars taiwanais de subvention par maison, soit environ un tiers des coûts de restauration. Malheureusement, jusqu’à présent, seul un propriétaire y a eu recours.

Doubler la mise ?

Alors qu’à Penghu le tourisme a jusqu’ici été orienté principalement vers le patrimoine et la nature, un débat agite ses habitants depuis une dizaine d’années : faut-il autoriser la construction de casinos dans l’archipel ? A deux reprises, des projets de loi ont été présentés pour légaliser les jeux d’argent sur les îles au large, mais chaque fois sans succès. Une nouvelle tentative est en cours, mais si une telle loi était adoptée, il n’est pas sûr qu’elle soit bénéfique à cette petite communauté de 92 000 habitants.

Les partisans du projet disent que l’industrie du jeu est un bon moyen de stimuler le tourisme. Selon Lin Pin-kuan [林炳坤], le député de Penghu, cela permettrait aux collectivités locales d’augmenter leurs recettes fiscales et de moins dépendre des subsides du gouvernement. Une étude menée par ses services insiste aussi sur les créations d’emplois induites par l’arrivée d’un casino. Cependant, insiste Lin Pin-kuan, le dernier mot reviendra aux habitants de Penghu.

Le guide Li Huei-long explique que la plupart de ses proches sont partagés sur cette question. Ils espérent des créations d’emplois mais redoutent l’apparition du crime organisé et d’autres troubles de l’ordre public, des craintes partagées par Tsai Huei-min de la NTNU. Li Huei-long exprime aussi des doutes sur le nombre et la nature des emplois réservés à des gens du cru si le projet aboutissait.

Certains se demandent si, après tout ce temps, d’autres options ne sont pas préférables. Wang Chih-hui [王志輝], le directeur du Développement urbain et immobilier au ministère de la Planification et du Développement économiques, reconnaît que Penghu a du mal à attirer les capitaux pour assurer son développement. Mais, selon lui, il est trop tard pour espérer y récolter de gros bénéfices de l’ouverture de casinos. « Dans la région, Macao, la Corée du Sud, Singapour et la Malaisie possèdent déjà des casinos de classe internationale appréciés des touristes », dit-il.

Plutôt que de sauter à pieds joints dans un projet d’une telle envergure, il suggère de commencer par améliorer les équipements existants, comme les douches et cabines de plage ou la signalisation des sites touristiques. D’après Li Huei-long, la rénovation de l’aéroport et l’élargissement de l’offre hôtelière pourraient aussi inciter les visiteurs à se rendre dans l’archipel ou à y retourner.

Une ancienne ligne de front transformée

Les deux autres groupes d’îles situés à l’ouest de Taiwan sont Kinmen et Matsu. Proches du continent chinois – un peu plus de 2 km pour Kinmen et moins de 10 km pour Matsu – elles ont subi de très forts bombardements dans les années 50, qui se sont poursuivis pendant une longue période. Pour cette raison, elles sont parsemées de bunkers.

En 1987, la Loi martiale a été levée à Taiwan, mais Kinmen et Matsu sont restés sous commandement militaire jusqu’en 1992. Qui plus est, la vie y était plus austère que sur l’île de Taiwan. De nombreuses contraintes étaient imposées à la population locale, tel que le couvre-feu ou l’interdiction de posséder certains objets courants comme les postes de radio. Chuang Wu-wei [莊武緯], un guide touristique de Kinmen, explique qu’après la levée de la Loi martiale, les habitants ont mis du temps avant de prendre la mesure des nouvelles libertés dont ils jouissaient.

Maintenant, les autorités locales cherchent à faire de Kinmen une destination culturelle et historique. Certaines anciennes installations militaires – tranchées, bunkers ou tunnels – sont ainsi devenues des attractions touristiques. En 1995, le Parc national de Kinmen a été créé pour conserver la mémoire militaire de ces îles et leur patrimoine architectural et historique. Il s’agit du seul parc national de Taiwan dont les missions incluent, outre la protection de l’environnement, la préservation du patrimoine bâti.

Changer de rythme

En comparaison, Matsu et les îles qui l’entourent sont plus isolées. Là-bas, décrit Tsai Huei-min, on a l’impression de ne faire qu’un avec la mer. Leurs 29 km2 de terres au relief accidenté rendent peu probable l’hypothèse du tourisme de masse, mais leur atmosphère tranquille joue en leur faveur. « Matsu est un endroit rare, parfait pour ceux qui apprécient la solitude ou un séjour calme entre amis », dit-elle. Elle ajoute que ces îles sont devenues la retraite favorite d’écrivains et d’artistes en quête d’inspiration.

L’archipel sert aussi de refuge à une grande variété d’oiseaux migrateurs. Pendant la saison qui va de mai à novembre, huit stations ornithologiques permettent aux passionnés de s’adonner à l’observation de milliers d’oiseaux, explique Wang Shu-ching [王樹欽], le responsable de l’agence de voyage Golden Dragon. « Les touristes sont souvent stupéfaits par la profusion d’oiseaux sauvages et me disent que cette séance d’observation à elle seule justifie le voyage », dit-il. Parmi les centaines d’espèces présentes, la star est la sterne chinoise huppée, une espèce rare que l’on croyait disparue pour ne plus avoir été observée depuis les années 30, et qui a été redécouverte sur un îlot inhabité de Matsu en 2000.

Le principal obstacle au développement du tourisme à Matsu est le manque de fiabilité de la desserte, dû à des conditions météorologiques très changeantes. Souvent, une mer trop agitée contraint les ferries qui relient le port de Keelung à Matsu à rester à quai, indique Huang Ying-chieh [黃映捷], un assistant de recherche à l’Institut d’information et de planification physique (IPPI), qui travaille avec le ministère de la Planification et du Développement économiques pour évaluer les besoins de financement des îles entourant Taiwan. Côté aérien, toutefois, l’installation en 2011 d’un système de guidage des atterrissages sur les deux aéroports de l’archipel, situés sur les îlots Nangan et Beigan, devrait considérablement améliorer la desserte.

Mini-liaisons

En 2001, la proximité de Kinmen et Matsu avec la province chinoise du Fujian leur ont valu d’expérimenter la mise en place de routes maritimes directes avec le continent. Ces « trois mini-liaisons », ainsi surnommées car elles concernaient le transport des passagers, du courrier et du fret, étaient les premières à être organisées depuis plus de 50 ans.

Des ferries parcourent quotidiennement les routes Kinmen-Xiamen et Matsu-Mawei. Le trajet dure moins d’une heure et, depuis la mise en service de ces liaisons, plus de 1 380 000 Taiwanais les ont empruntées. Au début, seuls les habitants de Kinmen et Matsu, ainsi que les gens d’affaires taiwanais installés en Chine, pouvaient faire le voyage. En avril 2007, les habitants de Penghu ont à leur tour bénéficié de ces « mini-liaisons ». En juin dernier, elles ont été ouvertes à tous les Taiwanais. Plus de 150 000 Chinois ont également visité ces deux groupes d’îles par ce biais.

Jusqu’à présent, ces « mini-liaisons » ont eu des retombées économiques limitées pour les habitants des îles concernées. La plupart des passagers n’y font en effet qu’une brève halte avant de se rendre en Chine pour affaires. Cependant, Wang Chih-hui pense que le lancement des vols charter directs entre Taiwan et la Chine entraînera la réduction de ce type de clientèle. Il a bon espoir qu’elle soit remplacée par des touristes venus passer quelques jours sur place à la découverte des îles.

Un paradis en péril

Loin de là, à l’est de l’île de Taiwan, Ludao (l’île Verte) et Lanyu (l’île des Orchidées) possèdent toutes deux une histoire riche et originale.

Située à environ 30 km des côtes taiwanaises, Ludao est souvent surnommée l’Alcatraz taiwanais. C’est là, en effet, qu’étaient incarcérés les prisonniers politiques pendant la période de la Loi martiale (de 1949 à 1987).

Le tourisme y a décollé depuis 1991, l’île attirant en particulier les amateurs de plongée. Mais le flux des visiteurs, surtout l’été, n’est pas sans conséquences sur l’environnement local. Chou Ying-chi [邱盈綺], de l’IPPI, explique que la pollution du littoral par les eaux usées et les ordures ménagères est devenue un sérieux problème. On lui attribue la diminution du nombre d’espèces sous-marines et l’endommagement des récifs coralliens. La construction d’une station d’épuration est en projet.

La pollution de l’air, principalement due aux scooters, le principal moyen de locomotion des 2 500 habitants et des 300 000 touristes qui visitent l’île chaque année, représente un autre défi. Environ 3 500 scooters sont enregistrés sur ce petit territoire d’à peine plus de 16 km2. Alors que la généralisation des scooters électrique est à l’étude, le district de Taitung, dont dépend Ludao, a déjà reçu le soutien du fabricant de cycles Giant qui a offert 100 vélos pour contribuer à l’amélioration de la qualité de l’air. D’autres propositions, visant à faire de l’île un parc national ou à y limiter le nombre de visiteurs, se sont par contre heurtées à la résistance des habitants.

Du point de vue géologique, Ludao et Lanyu ont beaucoup en commun – toutes deux sont des îles volcaniques et abritent des récifs coralliens en abondance. Cependant, Lanyu offre un visage bien différent, puisqu’elle est le berceau des aborigènes Tao, ou Yami. John Liu [劉可強], un professeur de l’Institut de construction et de planification de l’Université nationale de Taiwan, note que les Tao ont un esprit très indépendant et s’efforcent de conserver leur mode de vie ancestral. Ils vivent principalement de la pêche et certains habitent toujours dans des maisons traditionnelles en partie enfouies dans le sol.

Relativement difficile d’accès, l’île est nettement moins tournée vers le tourisme que les autres. La liaison par ferry est irrégulière et prend près de 3 h avec Taiwan. Les vols ne durent que 30 mn mais leur capacité est limitée et le service souvent suspendu à cause des intempéries. Cependant, ce relatif isolement a permis à l’île de garder intacts ses paysages.

Des maisons en ciment sont toutefois apparues depuis quelques décennies. John Liu y voit un signe des évolutions sociales en cours, mais pense qu’il est trop tôt pour dire s’il s’agit là d’un progrès. « La meilleure chose qu’on puisse faire est de faciliter la communication entre les générations, de manière à ce que les plus jeunes et les plus âgés se mettent d’accord sur la voie à suivre pour l’île, dit-il. Il est essentiel d’adopter l’attitude la moins envahissante et la plus respectueuse possible, tout en leur donnant accès à davantage de sources d’information. »

La tâche des professionnels du tourisme n’a en outre pas été facilitée par la présence sur place d’un site de stockage de déchets nucléaires, à Longmen, sur la pointe sud de l’île. En 1982, des cargaisons de déchets nucléaires de faible et de moyenne radioactivité en provenance de centrales nucléaires et de laboratoires médicaux ou de recherche ont commencé à être acheminées vers ce qui devait être un site de stockage temporaire. L’image touristique de l’île s’est encore brouillée lorsque les protestations contre l’existence de ce site ont pris de l’ampleur, à partir de 1988. La recherche de solutions alternatives sur le long terme n’a toutefois pas encore abouti.

Si beaucoup considèrent le tourisme comme la meilleure voie de développement pour les îles qui entourent Taiwan, reste à en conserver la maîtrise. En optant pour des formules de développement durable, instaurant l’équilibre entre les besoins du tourisme et la protection de l’environnement, elles pourraient faire fructifier un potentiel encore largement inexploité. ■

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